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LE JEU DE SAINT NICOLAS

Par JEAN BODEL

 

Anthologie du théâtre français du Moyen âge. Théâtre sérieux : mystères, miracles, moralités des XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles / arrangés en français moderne, par G. Gassies (des Brulies)


 

1925-1927

domaine public

 

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58358410/f1.image.r=anthologie%20du%20theatre.langFR

 

Ce mystère offre une réelle progression dans l'action avec des scènes de guerre, de bagarre, un réel suspens. La subtilité de la mise en scène et des dialogues incite à jouer ce mystère en ombres humaines en utilisant les décors de Rachat2 du site Ombres-et-Silhouettes : http://ombres-et-silhouettes.wifeo.com/rachat2.php


La mise en scène de la pièce suppose plusieurs lieux juxtaposés et assez de place même pour une bataille.

 

Personnages :

L'ANGE.
SAINT NICOLAS.
LE ROI PAÏEN.
Le sénéchal OTHON.
L'émir de COINE.
L'émir d'ORKENIE.
L'émir d'OLIFERNE.
L'émir de l'ARBRE SEC.
AUBERON, le courrier.
COGNARD, le crieur.
Un CHRÉTIEN ou le PRUD'HOMME.
LE TAVERNIER.
CAIGNET, son valet.
RAOULET, autre crieur.
CLIQUET, joueur et voleur.
PINCE-DÉ, joueur et voleur.
RASOIR, joueur et voleur.
DURAND, geôlier et bourreau.
Chevaliers chrétiens.


SCÈNE PREMIÈRE


Dans le palais du roi païen.
 

AUBERON, le courrier. - Roi, ce Mahomet qui te fit naître, te sauve et te garde, toi et ton baronnage, et qu'il te donne force de résistance contre ceux qui t'ont attaqué, qui désolent et pillent ta terre et qui n'honorent ni ne prient notre dieu, mais sont chrétiens de vilaine race.

LE ROI, au sénéchal. - Othon, par mon dieu Apollon ! Les chrétiens sont-ils donc en campagne ? Ont-ils donc engagé la guerre ? Sont-ils si hardis et si audacieux ?


AUBERON. - Roi, telle force ni telle armée ne fut, depuis que Noé construisit l'Arche, comme celle qui a franchi notre frontière. Partout courent les fourriers, tous ces bandits et ces ribauds mettent le feu au pays. Roi, si tu ne songes à te défendre, tout est perdu et saccagé.

 

LE ROI. - Ah ! Fils de gueuse, Tervagant ! Avez-vous donc souffert telle œuvre ? Comme je regrette l'or dont je couvre votre laid visage et votre laid corps ! Certes, si mes conjurations ne m'apprennent a confondre tous les chrétiens, je vous ferai brûler et fondre et partager entre mes gens, car vous valez plus que de l'argent, étant du plus fin or d'Arabie. (Au sénéchal) Sénéchal, il s'en faut de peu que je n'enrage, et je meurs de mécontentement et de colère !


LE SÉNÉCHAL. - Ah ! roi, vous ne devriez pas dire tel outrage ou telle extravagance. Il ne convient ni à comte ni à roi de détester ainsi ses dieux ! Vous en êtes fort à blâmer. Mais puisque je vous dois conseiller, allons tous deux supplier Tervagant qu'il nous pardonne ; à nus coudes, à nus genoux implorons-le, de sorte que par sa sainte vertu les chrétiens soient abattus. Et si nous devons avoir l'honneur de vaincre, qu'il nous le fasse savoir par telle voix ou tel signe, en quoi nous puissions avoir confiance. En ce conseil, n'y a pas de fourberie. Promettez donc à Terra- gant dix marcs d'or !


LE ROI. - Allons-y, puisque tu le conseilles. (Ils vont devant la statue de Tervagant.) Tervagant, par colère, je vous ai aujourd'hui dit mainte folie ; mais j'étais plus ivre que soupe. Merci vous demande, je me reconnais coupable, à nus genoux et nus coudes. J'aurais mieux fait de me taire. Sire, que ton secours me vienne et qu'il te souvienne aujourd'hui de notre loi, que les chrétiens pensent nous ravir. Déjà ils sont répandus dans ma vaste terre. Sire, par sorts et par signes montre-moi comment on peut les faire partir, à moi ton ami montre-moi, par sortilège ou par art de démon, si je pourrai leur résister. Dis-le-moi de la manière suivante : si je dois gagner, ris, et si je dois perdre, pleure. Sénéchal, quel est votre avis ? Tervagant a pleuré et ri. Qu'est-ce que cela signifie ?


LE SÉNÉCHAL. - Certes, sire, dans le rire vous pouvez avoir grande sûreté et grande confiance.


LE ROI. - Sénéchal, par la foi que je dois à Mahomet ! Toi qui es mon homme lige, dis-moi quel sort il m'indique.


LE SÉNÉCHAL. - Sire, par la foi que je dois à votre personne, si le sort vous était expliqué, je crois qu'il ne vous semblerait pas beau !


LE ROI. - Sénéchal, n'ayez pas peur. Par tous mes dieux, vous n'avez rien à craindre. Fiez-vous à ma parole.


SÉNÉCHAL. - Sire, je vous crois bien quand vous attestez les dieux, mais je vous croirais encore mieux si vous frottiez vos dents avec votre ongle !


LE ROI. - Sénéchal, n'ayez pas d'inquiétude. Voici la plus haute garantie (il fait le geste demandé). Si vous aviez mis à mort mon père, vous n'auriez plus à vous garder de moi.


LE SÉNÉCHAL. - Eh bien ! je n'ai pas peur de délier ma langue, les présages seront expliqués. S'il rit, c'est d'abord que vous réussirez ! Vous vaincrez les chrétiens quand vous marcherez contre eux, mais il eut raison de pleurer ensuite, car c'est grande douleur et grande pitié qu'à la fin vous le quitterez.


LE ROI. - Sénéchal, cinq-cents misères ait celui qui a pu dire ou penser cela ! Mais, par la foi que je dois à tous mes amis, si je n'avais mis le doigt à la dent, Mahomet lui-même n'aurait par empêché que je te fisse mettre à mort ! Quoi qu'il en soit, parlons maintenant d'autre affaire. Allez ! Et faites crier le rassemblement de l'armée. Que tous viennent à mon aide d'Orient jusqu'en Catalogne !


LE SÉNÉCHAL. - Or çà ! Cognard, crie vite !



SCÈNE II


Sur la place publique.



COGNARD, le crieur. - Oyez ! Oyez ! Oyez ! Seigneurs, écoutez votre profit et votre honneur. Je fais le ban du roi d'Afrique ! Que tous y répondent, pauvres et riches, garnis de leurs armes, par ban. De la terre du prêtre Jean qu'il ne reste personne jusqu'à Coine, d'Alexandrie, de Babylone, que les Kenelieux, les Achopars viennent armés ainsi que toute l'autre gent sauvage. Que quiconque restera chez lui soit sûr que le roi le fera tuer. C'est tout. Faites l'appel.


SCÈNE III


Dans le palais.



LE ROI. - Holà ! Es-tu céans, Auberon, mon courrier ?


AUBERON, accourant. - Sire, me voici, je ne vous manque point.


LE ROI. - Auberon, sois actif à bien courir. Va moi partout sommer Géants et Kenelieux ! Montre partout mes lettres et mon sceau ouvertement, explique comment par les chrétiens ma loi déchoit et se perd. Ceux qui ne marcheront pas doivent être sûrs qu'eux et leurs héritiers seront à toujours méprisés. Va-t'en ; je te croyais déjà hors de la banlieue !


AUBERON. - Sire, n'en doutez pas, nul chameau n'est si agile à courir une lieue que je ne le rattrape et ne le laisse derrière moi une demi-lieue.



SCÈNE IV


Sur la place de la ville. — Devant une auberge.



LE TAVERNIER, criant. - Céans il fait bon dîner, céans, il y a pain chaud et chauds harengs, et vin d'Auxerre à plein tonneau !


AUBERON. - Ah ! saint Benoît ! laissez-moi rencontrer sou- vent votre anneau. (Au Tavernier.) Que vend-on céans ?


LE TAVERNIER. - Ce qu'on y vend ? Ami, un vin qui point ne file.


AUBERON. - À combien est-il ?


LE TAVERNIER. - Au cours de la ville. Je ne veux tromper personne sur le prix ni sur la mesure. Asseyez-vous là en cette enceinte.


AUBERON. - Hôte, tirez donc une pinte. Je boirai en restant debout. Je n'ai pas le temps de m'attarder ici et je dois me surveiller,


LE TAVERNIER. - À qui es-tu ?


AUBERON. - Je suis au roi, je porte son sceau et son ordre.


LE TAVERNIER. - Tiens, ce vin-ci te montera à la tête. Bois bien, le meilleur est au fond.


AURERON, après avoir bu. - Ce hanap n'est pas profond, il permet à peine de goûter le vin. Dites, combien dois-je payer ? J'ai tort de tant demeurer.


LE TAVERNIER. - Paye un denier, et une autre fois tu auras la pinte pour une maille. C'est du vin à douze deniers, sans mentir. Paye un denier ou bois encore pour faire le compte.


AUBERON. - Vous prendrez à présent la maille et au retour le denier.


LE TAVERNIER. - Veux-tu déjà m'extorquer mon vin ? Au moins tu me dois un denier moins une maille.


Bref le courrier se faisant prier pour payer, arrive un buveur, Cliquet, avec lequel le tavernier lui conseille de jouer ce qu'il a bu. Le courrier gagne et déclare au tavernier, tandis que le perdant l'injurie.


AUBERON. - Bel hôte, ce vassal m'acquitte ! Il me malmène en paroles, mais n'importe !

 


SCÈNE V


Devant l'émir de Coine.



AUBERON. - Que Mahomet sauve l'émir de Coine ! Je viens de par le roi, qui, sans excuse, lui mande de venir à son aide !


L'ÉMIR DE COINE. - Auberon, va dire au roi que je lui mènerai une riche troupe. Il n'y aura excuse qui me retienne !


Auberon va ensuite trouver l'émir d'Orkenie. Devant l'émir d'Orkenie.


AUBERON. - Mahomet te sauve et te bénisse, riche émir d'Orkenie ! Par le roi, secours t'est demandé.


L'ÉMIR D'ORKENIE. - Auberon, Mahomet sauve le roi ! Va-t-en, je m'en irai tout à l'heure, puisqu'il me le commande.


Chez l'émir d'Oliferne.


AUBERON. - Que ce Mahomet qui gouverne tout te sauve, riche émir d'Oliferne ! De par le roi, je te somme de venir à son aide.


L'ÉMIR D'OLIFERNE. - Auberon, tu peux dire au roi que je lui mènerai tout mon empire. Je n'y manquerai pas pour tout l'or du inonde,


Chez l'émir de l'Arbre-Sec.


AUBERON. - Émir d'outre l'Arbre-sec, le roi d'Aïr, Tranie et Arabie, pour la guerre des chrétiens te demande ton secours prochain.


L'ÉMIR DE L'ARBRE-SEC. - Auberon, demain matin je vous mènerai cent-mille païens.



SCÈNE VI


Retour au palais du roi.



AUBERON. - Roi, que Mahomet sauve toi et ta maison !


LE ROI. - Sois béni aussi, Auberon. Comment as-tu employé ton temps ?


AUBERON. - Certes, sire, j'ai tant éperonné mon cheval par Arabie et par Payennie que jamais nul roi de païens ne rassembla même le dixième de ce qui vient à toi, comtes et rois, princes et barons.


LE ROI. - Va te reposer, Auberon.


SCÈNE VII

Arrivée des émirs.



Les émirs viennent successivement se mettre à la disposition du roi. Il leur commande donc de se mettre en marche pour combattre les chrétiens.


LES ÉMIRS, ensemble. - Allons ! Recommandons-nous à Mahomet !



SCÈNE VIII


Sur le champ de bataille.



LES CHRÉTIENS. - Saint Sépulcre, aide-nous ! Seigneurs, c'est le moment d'agir. Sarrasins et païens viennent pour nous faire du mal. Voyez les armes reluire ; tout mon cœur en est éclairé. Maintenant faisons si bien que nos prouesses paraissent ! Contre chacun de nous ils sont bien cent à proportion.


UN CHRÉTIEN. - Seigneurs, n'en doutez pas, voici notre jugement. Bien sais que tous nous mourrons pour le service du Seigneur Dieu, mais très cher m'y vendrai, si je ne brise pas mon épée. Rien ne les protégera, ni coiffe ni haubert. Seigneurs, que chacun soit aujourd'hui dévoué au service de Dieu ! Paradis sera nôtre, à eux l'Enfer ! Ayez soin dans la mêlée qu'ils rencontrent nos lances et nos épées !


UN CHRÉTIEN, nouveau chevalier. - Seigneurs, si je suis jeune, ne m'ayez en dépit. On a vu souvent grand cœur en corps petit. Je frapperai ce guerrier armé d'une fourche. Je l'ai choisi depuis longtemps. Sachez que je l'occirai, si auparavant il ne m'occit !


L'ANGE. - Seigneurs, soyez tous rassurés. N'ayez hésitation ni peur ! Messager suis de Notre Seigneur, qui vous mettra hors de douleur. Ayez vos cœurs fermes et croyants en Dieu. Devant ces mécréants qui vous viennent attaquer n'ayez que des cœurs confiants. Exposez hardiment vos corps pour Dieu, car cette mort est celle dont doivent mourir ceux qui aiment Dieu de cœur et croient en lui.


LE CHRÉTIEN. - Qui êtes-vous, beau sire, qui nous réconfortez ainsi et si haute parole de Dieu nous apportez ?...


L'ANGE. - Je suis un ange de Dieu, bel ami. Pour vous encourager il m'a ici envoyé. Soyez confiants, car dans les cieux Dieu vous a élus comme sages. Allez ! bien avez commencé. Pour Dieu vous serez massacrés, mais vous aurez la haute couronne. Je m'en vais. Adieu ! Demeurez.


La bataille a lieu et les chrétiens sont tous tués.



SCÈNE IX
 


L'ÉMIR D'ORKENIE. - Seigneur, barons, accourez vite. Toutes les merveilles de l'armée sont anéanties. Il ne reste que ce prisonnier. Voici un grand vilain chenu ; il adore un Mahomet cornu. L'occirons-nous ou le prendrons- nous vif ?


Il montre un chrétien, le prud'homme, qui est agenouillé devant une statue de saint Nicolas, coffré d'une mitre à deux cornes, d'où le nom de Mahomet cornu qu'il lui donne.


L'ÉMIR D'OLIFERNE. - Non, nous ne l'occirons pas, ma foi ! Mais nous le mènerons devant le roi comme une bête curieuse, je t'assure. Lève-toi, vilain, et viens-t'en.


L'ÉMIR DE L'ARBE-SEC. - Seigneurs, tenez-le bien, et moi je porterai le Mahomet.


Il prend la statue de saint Nicolas.



SCÈNE X


L'ANGE. - Ah ! chevaliers, qui gisez ici, comme vous êtes bienheureux, comme à présent vous dédaignez le monde, où vous avez vécu ! Mais pour le mal que vous avez enduré, à mon escient, sachez maintenant quel bien c'est que le paradis où Dieu met tous ses amis. Sur vous doit prendre exemple tout le monde et ainsi mourir, car Dieu très doucement reçoit ceux, qui à lui veulent venir. Qui de bon cœur le servira, jamais sa peine ne perdra, mais sera aux cieux couronné de la couronne que vous avez méritée.


LE PRUD'HOMME. - Saint Nicolas, digne confesseur, de votre homme prenez soin, soyez mon secours et garant, bon ami de Dieu, vrai conseiller, soyez pour votre homme vigilant et gardez-moi de ces tyrans.


L'ANGE. - Prud'homme, qui es si effaré, fie-toi à Dieu et sois preux et sensé. Si ces traîtres t'emmènent, n'aie pas peur. Au Seigneur Dieu sois bien fidèle et à saint Nicolas aussi ; car tu auras haute protection si en ta foi il te voit ferme et fort.



SCÈNE XI

Au palais du roi païen.



L'EMIR DE COINE. - Roi, sois plus joyeux que jamais, car nous avons mené ta guerre à paix par notre force et notre habileté. Morts sont les larrons, les pervers, et tous les champs en sont couverts sur quatre lieues en tout sens.


LE ROI. - Seigneurs, vous m'avez très bien servi, mais jamais je ne vis tel vilain que celui que je vois là, à droite. De cette laide grimace et de ce vilain, couvert d'une aumusse, dites-moi ce qu'il peut être.


LE SÉNÉCHAL. - Roi, pour te faire voir une bête curieuse, nous l'avons fait tout vif garder. Or écoute à quoi il s'occupe. À genoux je l'ai trouvé priant à mains jointes et en pleurant devant son Mahomet cornu.


LE ROI. - Dis-moi, vilain, si tu y crois,


LE PRUD'HOMME. - Oui, sire, par la sainte Croix ! Il est juste que tout le monde le prie.


LE ROI. - Dis-moi donc pourquoi, vilain laid.


LE PRUD'HOMME. - Sire, c'est saint Nicolas, qui secourt les découragés ; ses miracles sont bien évidents ; il fait retrouver tout ce qu'on a perdu, il remet les égarés dans leur chemin, il rappelle à Dieu les mécréants, il rend la lumière aux aveugles, il ressuscite les noyés. Chose confiée à sa garde n'est jamais perdue ni abîmée, tout abandonnée qu'elle soit. Si ce palais était plein d'or et qu'il fût couché sur le trésor, il n'y aurait rien à craindre. Telle est la grâce que Dieu lui a donnée.


LE ROI. - Vilain, je saurai cela tantôt, avant que je parte d'ici. Ton Nicolas sera éprouvé. Je veux lui confier mon trésor. Mais si j'en perds la largeur de mon œil, tu seras roué et brûlé. Sénéchal, mène-le à Durand, mon tourmenteur, mon bourreau ; mais veille à ce qu'il soit bien tenu dans les fers.


SCÈNE XII


À la prison.



LE SÉNÉCHAL. - Durand, Durand, ouvre le cachot. Tu auras ces peaux de martre.


Il lui livre le prud'homme.


DURAND, au prud'homme. - Ma foi ! Pour votre malheur entrez ici.


LE PRUD'HOMME. - Sire, comme votre massue est grosse !

 

DURAND. - Entre, vilain, en cette fosse. Aussi bien la prison était vide. Jamais, tant que tu seras sous ma garde, mes tenailles ne seront oisives, ni tant que tu auras des dents en gueule.


L'ANGE. - Prud'homme, sois joyeux ! N'aie nulle peur, mais sois bien croyant au vrai Sauveur et en ce saint Nicolas, car je sais en vérité que tu auras son secours. Tu convertiras le roi, et tu mettras hors de leur folle loi ses barons, qui tiendront désormais la foi que tiennent les chrétiens. De cœur crois en saint Nicolas !



SCÈNE XIII


Au palais du roi.



LE SÉNÉCHAL. - Sire, il est mis dans le cachot.


LE ROI. - Maintenant, sénéchal, beau doux ami, tous les trésors que je possède, je veux qu'ils soient mis à découvert, que mes huches et mes écrins soient ouverts. Puis vous mettrez dessus saint Nicolas.


LE SÉNÉCHAL va exécuter l'ordre et revient. - Sire, votre ordre est exécuté. Il n'y a plus ni sergent ni guette, et vous pouvez dormir tranquille sur ce point.


LE ROI. - En vérité, foi que je dois à Apollon, si je perds un esterlin, le vilain pourra avoir peur ! Il doit se fier trop en son dieu ! Or faites vite crier le ban. Je veux que l'on sache partout que mon trésor n'est plus gardé.


LE SÉNÉCHAL. - Or çà, Cognard, crie le ban pour faire savoir que le trésor du roi n'est plus gardé. Cela tombe bien pour les larrons.



SCÈNE XIV


Sur la place publique et devant l'auberge.



COGNARD, le crieur. - Oyez, oyez, oyez tous, seigneurs. Venez en avant, écoutez-moi. De par le roi, je vous fais savoir qu'à son trésor ni à son bien il n'y aura plus ni clé ni serrure. Comme s'il était déposé par terre, on peut le trouver, ce me semble, et si quelqu'un peut l'enlever, qu'il l'enlève, car il n'y a personne pour le garder, si ce n'est un Mahomet cornu, qui n'est pas en vie, car il ne remue pas.


LE TAVERNIER. - Cagnet, nous vendons très peu. Va, et dis à Raoulet qu'il crie le vin : que les gens en soient soûls !


CAGNET. - Or çà ! Raoul, criez le vin fraîchement mis en perce, qui vient d'Auxerre à plein tonneau.


COGNARD. - Qu'est-ce que c'est que ce musard ? Veux-tu m'enlever mon métier ? Tiens-toi silencieux, car sur moi tu empiètes !


RAOULET. - Qui es-tu, qui me défends de crier ? Dis-moi ton nom, et que Dieu te garde !


COGNARD. - Ami, on m'appelle Cognard, je suis de naissance crieur des échevins de la ville. Il y a soixante ans passés et plus que j'ai vécu de crier. Et toi, comment te nommes-tu, je te prie ?


RAOULET. - J'ai nom Raoul, je crie le vin, et j'appartiens aux hommes de la ville.


COGNARD. - Va-t'en, ribaud, abandonne ta fourberie, car tu cries d'un ton trop bas. Dépose le pot et le bâton, car je ne te prise pas un fétu.


RAOULET. - Qu'est-ce, Cognard ? Me chasses-tu ?


COGNARD. - Oui, pour un peu je te frapperais ! Dépose le pot et le hanap, et déclare que tu me cèdes le métier.


RAOULET. - Écoutez quelle insolence il a dite ! Celui qui me demande de crier ne te regarde pas ! Cognard, ne fais pas à présent le malin, si tu ne veux pas avoir ta volée de coups !...


Ils se battent.


CAGNET, au tavernier. - Sire, Raoulet et Cognard se battent pour le métier de crieur.


LE TAVERNIER. - Holà ! Holà ! Seigneurs ! Ce n'est pas nécessaire ! Tiens-toi tranquille, Raoulet, et toi aussi, Cognard, et tous deux remettez-vous-en à mon arbitrage. Vous y gagnerez tous les. Deux.


RAOULET. - J'y consens !


COGNARD. - J'y consens aussi, quand même j'y devrais tout perdre !


LE TAVERNIER. - Certes, j'irai le droit chemin : que chacun de vous deux tienne le ban de la ville. Cognard, tu crieras le ban pour le roi et les échevins, et Raoul criera les vins. Ainsi il gagnera au moins sa vie. Pour sûr, si Raoulet se grise, je ne veux pas qu'on lui en garde rancune. Va, Raoulet, fais-lui amende honorable, je ne veux pas qu'il y ait discorde.


RAOULET. - Tenez, Cognard, faisons la paix. L'un se doit à l'autre fier.


COGNARD. - La paix est faite, va-t'en crier ton vin.


Il s'en va.



SCÈNE XV



RAOULET, criant. - Vin nouvellement percé ! À plein bol ! et à plein tonneau ! honnête et buvable, franc et gros, courant comme écureuil au bois, sans nul goût de pourri ou d'aigre, courant sur lie, sec et maigre, clair comme larme de pécheur, s'attachant à la langue du gourmet : autres gens n'en doivent goûter !


PINCE-DÉ. - Alors j'en dois bien goûter, puisqu'il est taillé à notre mesure.


Il goûte le vin, qui lui plaît fort, et un autre buveur, déjà vu, Cliquet, vient se joindre à lui. L'hôte rappelle au nouveau venu qu'il a déjà une dette, mais Cliquet ne semble pas embarrassé de payer, pas plus qu'un troisième compère, appelé Rasoir.


RASOIR. - Cliquet, verse le vin à profusion ; nous essayerons de ce nouveau. Il y en a encore dans le tonneau, et nous finirons bien ici.


PINCE-DÉ. - Rasoir, as-tu mangé des harengs, car tu as bien bu ta part ?!


Ils continuent à boire, jusqu'au moment où Cliquet leur apprend qu'il sait où l'on trouvera facilement l'argent pour payer le tavernier.


CLIQUET. - Or donc ! buvons encore plus et parlons moins, car nous acquitterons nos dettes. Les granges de Dieu nous sont ouvertes et nous ne pouvons manquer d'être riches, car au trésor du roi d'Afrique, aux coupes, aux hanaps et; vaisselles il n'y a plus ni serrure ni clé, ni sergent qui les garde à nulle heure. Il y a seulement un Mahomet qui est couché dessus. Je ne sais s'il est de bois ou de pierre. Par lui jamais le roi n'apprendra, j'espère, si on lui vole ou emporte tout. Aujourd'hui nous irons tous trois ensemble, quand nous saurons qu'il en est l’heure.


PINCE-DÉ. - Est-ce vrai ? Que Dieu te secoure !


RASOIR. - C'est vrai, oui, par saint Jean ! Car j'ai entendu crier le ban, qu'il n'y aura plus nul gardien, mais que celui qui en pourra enlever, qu'il l'enlève ! Peut- on nous faire crédit là-dessus ?


CLIQUET. - Verse, Pince-dé, fais-le boire.


Ils continuent à boire en jouant aux dés. La scène est fort longue, et elle se termine par une bagarre suivie d'une réconciliation. Dans les pièces sérieuses, ces scènes de cabaret devaient être fort goûtées du public, qui s'y délassait un peu. Cependant la nuit est déjà avancée. La lune s'est cachée, et le moment semble venu aux buveurs de partir à la maraude.



RASOIR, au tavernier. - Hôte, nous vous devons un peu de deniers, mais nous savons ailleurs trouver un bon gain, où très grand sera le profit, car nous prendrons tout à notre gré là où nous savons qu est le trésor. De grands lingots d'argent et d'or nous chargerons chacun notre cou. Je veux faire avec vous un marché comme vous n'en avez jamais fait de tel, car ici dedans, en votre hôtel, vous abriterez notre gain. Vous le partagerez et prendrez dessus nos écots. Du paiement n'ayez donc nul souci.


LE TAVERNIER. - Puis-je donc être assuré de ce que Rasoir me conte ici ?


CLIQUET. - Sire, si Dieu me garde de honte, de malchance et de prison, si l'on ne nous prend pas sur le fait et si nous ne sommes pas pendus, votre argent vous sera payé. Vous aurez d'or fin un plein bac, mais faites-nous le prêt d'un sac, où nous mettrons tout notre avoir.


LE TAVERNIER. - Cagnet, fais-leur donner un sac, car, s'il plaît à Dieu, il sera bien acquitté.


CAGNET. - Tiens, Cliquet, celui-ci tient deux mesures. Allez ! Que Dieu vous ramène tous !


PINCE-DÉ. - Hôte, adieu, priez pour nous. Que notre affaire cette nuit à bien nous vienne !



SCÈNE XVI

Au palais du roi.



RASOIR. - Pince-dé, toi qui es très habile, va vite et doucement de ce côté pour épier si le roi dort.

 

PINCE-DÉ, après s'être approché du roi et de ses courtisans endormis. - En avant ! Larrons ! Car le roi et ses barons dorment aussi profondément que s'ils étaient tous morts.


RASOIR. - Cliquet, il estima peu son bien Celui qui confia sa richesse à ce ribaud cornu.


Il montre la statue de saint Nicolas couchée sur le trésor.


CLIQUET. - Rasoir, prenez ce bon écrin pesant ; il est tout rempli de besants.


RASOIR, prenant l’écrin. - Ah ! vif diable ! Qu'il pèse lourd ! Pince-dé, mets ce sac plus près. Cet écrin pèse comme un bloc de grès. Il s'en faut peu que je ne crève de le porter.


PINCE-DÉ. - Jette céans tout d'une fois. Je n'ai pas envie de laisser l'écrin. J'aime mieux avoir lourde charge ! Ici je veux éprouver ma force et je ne veux pas qu'un autre que moi l'emporte. Chargez-le sur moi, s'il vous sied.


RASOIR. - Prends-le donc. Nous t'aiderons toutefois.


CLIQUET. - Allons ! Mettons-nous en route, puisque tout nous réussit si bien.


Ils s'en vont, emportant coffre, sacs et écrins.



SCÈNE XVII.

À l'hôtellerie.



RASOIR. - Hôte ! Hôte ! ouvrez-nous l'huis ! Votre sac ne revient pas vide. Nous ne vous avons pas trompé.


L'HÔTE. - Ma foi ! Soyez les bienvenus, seigneurs ! Allons, Cagnet, aide-les. Tels hommes il fait bon recevoir.


PINCE-DÉ. - Seigneur, j'ai eu à porter grand fardeau. Ce ne serait pas sans raison si je buvais maintenant.


CLIQUET. - Malheur à qui ne satisfait pas cette envie, car le bon vin allège toutes les fatigues !


LE TAVERNIER. - Seigneurs, vous aurez beau feu et bon siège, n'en doutez pas, et du vin, qui n'est pas tourné au gras, mais qui vient de vigne poussant sur coteau de roche.


Les galants s'en donnent à cœur joie, ils boivent et jouent aux dés, éclairés par une belle chandelle, car ils sont assez riches pour payer le luminaire, et l'hôte ne lésine pas avec de pareils clients, mais il songe au partage promis, et leur dit :


LE TAVERNIER. - Maintenant nous sommes tous égaux. Que l'argent soit commun entre nous et que chacun de nous prenne sa part. Pourquoi attendez-vous tant ?


RASOIR. - Hôte, attendez un moment, nous sommes un peu fatigués, car nous avons veillé toute la nuit. Nous partagerons bien en amis, mais quand auparavant nous aurons dormi.



SCÈNE XVIII


À la cour du roi.



LE SÉNÉCHAL. - Ah ! Apollon et Mahomet ! Je viens d'avoir en rêve une vision du grand trésor du roi, qui ne pouvait être sauvé. Mais la terre s'enfonçait dessous et s'en allait dans l'abîme. Je ne serai content que quand je l'aurai visité.


Il va au trésor, et revient trouver le roi.


Ah ! roi, quel malheur t'arrive !... Lève-toi, car ton trésor est emporté !


LE ROI. - Qu'y a-t-il, par Mahomet ? Qui m'éveille ? Sénéchal, qu'est-ce que tu dis ?


LE SÉNÉCHAL. - Roi, tu es pauvre et dois mendier. Mais à nul il ne faut t'en prendre, puisque tu as confié la plus grande fortune qui fût à un homme de bois : le voilà qui gît par terre.


LE ROI. - Sénéchal, m'as-tu dit Vrai ? Ai-je perdu tout mon avoir ? Ce vilain chenu, qui l'autre jour est venu me sermonner, est la cause de cela. Fais-le amener devant moi, car le moment d'en tirer justice est venu.


Le sénéchal se rend à la prison.



SCÈNE XIX


À la prison.



LE SÉNÉCHAL. - Holà ! Durand le geôlier, ton prisonnier vit-il encore ? Le roi a le désir de le voir.


DURAND. - Oui, seigneur !... Ça, vilain ! à votre honte, je vous ferai aujourd'hui, sans mentir, passer trois pas de mauvais chemin.


Il amène le prud'homme devant le roi.

 


SCÈNE XX

 

DURAND. - Roi, le voici. À Dieu ne plaise qu'autre que moi en fasse justice ! Je te prie de me l'abandonner.


LE ROI. - Vilain, il y a mauvais recours de toi contre mon trésor. Tu m'as vendu cher ton sermon. Ton Dieu ne peut plus te protéger. Durand, à toi de bien inventer une cruelle mort pour détruire son corps.


DURAND. - Sire, je suis joyeux qu'on me le livre. Je le ferai, en mourant, vivre deux jours avant qu'il trépasse.


LE PRUD'HOMME. - Ah ! roi, ne te fâche pas, mais donne-moi encore cette journée de répit avant qu'on ne me tue et me tourmente. Dieu est toujours où il a coutume d'être, et il me secourra, s'il veut. Un jour de répit vaut cent marcs ; en ce temps mainte guerre a été changée en paix.


LE ROI. - Qu'importe ? Durand, laisse-le encore aujourd'hui et ramène-le-moi demain matin.


DURAND. - Arriéré, vilain, aux fers ! Les chrétiens puissent-ils entrer maintenant en pénible semaine !


LE PRUD'HOMME. - Saint Nicolas, bienheureux, en ce besoin secourez-moi ! Car je suis arrivé à ma fin si mes ennemis ont la force. Dans le besoin, on connaît ses amis. Sire, secourez donc votre homme, sur qui ce roi païen s'acharne ; il ne veut souffrir que je vive davantage. Il a fixé au matin le terme de ma vie, si le trésor n'est pas rapporté. Sire, réconfortez ce malheureux qui se tue en pleurs et en larmes l


DURAND. - Par Dieu ! vilain, il y paraîtra aujourd'hui, quand il vous faudra apprendre un métier si pénible, je prise peu votre Dieu et votre appel, je vous ferai bientôt un chapeau d'une corde pleine de nœuds.


LE PRUD'HOMME. - Saint Nicolas ! secours ton fidèle, car le terme est bien court que cet ennemi me fixe. Saint Nicolas ! jette les yeux sur moi, je me suis mis en ta garde, où rien ne périclite.


L'ANGE. - Holà, beau chrétien, tais-toi, ne pleure plus. Après avoir été dessous, tu seras dessus. Prie saint Nicolas qu'il te secoure et il te secourra en peu de temps. Toujours prie-le ainsi, et Dieu te secourra, lui qui ne manque jamais à son serviteur. Souffre sans peur ta misère et souviens-toi de saint Nicolas. Il ne te convient d'avoir nulle inquiétude ; saint Nicolas s'occupe de la délivrance. Si lu l'as bien servi jusqu'à présent, ne te lasse pas d'être encore son serviteur... Qui pour Dieu souffre, bien est récompensé.

 


SCÈNE XXI


À la taverne.



SAINT NICOLAS, en personne. - Malfaiteurs, ennemis de Dieu, levez-vous ! Vous avez trop dormi. Vous allez être pendus, sans nul recours. Mal vous fîtes en enlevant le trésor et mal fit l'hôte en le recelant.


PINCE-DÉ. - Qui est-ce qui nous a éveillés ? Dieu ! comme je dormais profondément !

 

SAINT NICOLAS. - Fils de gueuse, vous êtes tous morts, dès maintenant le gibet est prêt, car vous avez perdu votre vie, si vous ne suivez mon conseil.


PINCE-DÉ. - Prud'homme, qui nous as effrayés, qui es-tu ? toi qui nous fais une telle peur ?


SAINT NICOLAS. - Vassal, je suis saint Nicolas, qui remets les égarés dans la bonne voie. Remettez-vous en route et reportez le trésor au roi. Vous avez agi par grande folie quand vous osâtes penser à le prendre. Elle aurait bien dû protéger le trésor, l'image qui était mise dessus, gardez qu'elle y soit replacée bientôt et que le trésor soit remis où il était, si vous tenez à vos corps, et posez l'image dessus. Je m'en vais, sans nul retard. (Il sort.)


PINCE-DÉ. - Par le saint signe de la Croix ! Cliquet, quel est votre avis ? Et vous, que dites-vous, Rasoir ?


RASOIR. - Pour moi, il me semble que le prud'homme a dit vrai. J'en suis très ému.


CLIQUET. - M'est avis que j'en ressens grande douleur. Jamais homme autant ne craignis.


LE TAVERNIER. - Seigneurs, je n'en prends rien sur moi, si vous avez agi sans raison. Videz-moi vite la maison, car je n'ai cure de partager un tel gain.


PINCE-DÉ. - Hôte, vous fûtes notre complice, puisqu'il faut dire la vérité, et du péché et de l'avoir vous devez avoir votre juste part.


LE TAVERNIER. - Hors d'ici, fils de gueuse ! Gloutons ! Voulez-vous me couvrir de honte ? Cagnet, va-t'en recevoir leur écot, puis mets-les hors de mon hôtel !


CAGNET. - Or ça ! Cliquet, il n'y à pas à faire autrement, débarrassez-vous de cette cape. Jamais ne sera sans noise ni sans coup celui qui reçoit de pareilles gens !


CLIQUET. - Combien de deniers dois-je ?


CAGNET. - Dix-sept. Cinq de vin et douze de prêt. Où sont Pince-Dé et Rasoir ?Allons, laisse ta cape pour le tout.


Les voleurs vont reporter te trésor et replacent dessus la statue de saint Nicolas, puis ils se séparent en se souhaitant bonne chance.



SCÈNE XXII


Au palais.



LE ROI. - Ah ! Mahomet m'a bien averti pendant mon sommeil et Tervagant l'interprète bien. Tout à l'heure je faisais venir à moi mes hauts barons pour tenir ma cour et je recevais une nouvelle couronne. Sénéchal, dors-tu ou es-tu éveillé ?


LE SÉNÉCHAL. - Sire ? je rêvais des merveilles. À bien ce songe finisse-t-il par tourner ! J'étais en dormant bien réconforté, car le trésor était rapporté et les larrons étaient pendus.

 

LE ROI. - Ah ! Sénéchal, regardes-y vite.


LE SÉNÉCHAL. - Sire, mon songe est réalisé, car le trésor est revenu plus grand qu'il ne fut volé : ce m'est avis qu'il est doublé, et le saint Nicolas est couché dessus.


LE ROI. - Sénéchal, le moques-tu donc de moi ?


LE SÉNÉCHAL. - Roi, il n'y eut jamais si grand trésor ! Il surpasse celui d'Octavien. Jamais n'en eurent autant ni César ni Héraclius !


LE ROI. - Combien est grand ce miracle ! Allez vite chercher le chrétien.



SCÈNE XXIII

À la prison.
 


LE SÉNÉCHAL. - Durand, mets le prud'homme dehors. Il n'a plus rien à craindre. À quoi bon le lui cacher ?


DURAND. - Or çà ! Vilain ! J'ai eu bien tort de ne pas vous pendre par les pouces et de ne pas vous arracher les dents machelières !



SCÈNE XXIV


Au palais.



LE SÉNÉCHAL. - Roi, voici l'homme. Je te l'amène ; en ton plaisir et en ta main il est, pour que tu le fasses mourir ou le laisses vivre.


LE PRUD'HOMME. - Saint Nicolas, en qui je crois et que je ne cesse de servir, guéris aujourd'hui mon corps et délivre-le. Prends soin de ton homme ; adoucis la colère de ce roi, qui veut défaire mon corps, tant il est contre moi courroucé.


LE ROI. - Dis-moi, ami chrétien, crois-tu donc que saint Nicolas puisse faire ce que tu lui demandes, crois-tu qu'il me puisse faire renoncer à ma foi ? Crois-tu qu'il me puisse renvoyer mon trésor ? En es-tu certain ?


LE PRUD'HOMME. - Ah ! roi, pourquoi cela ne serait-il pas ? Il conseilla les trois jeunes filles et ressuscita les trois clercs. Je crois bien qu'il te pourrait vaincre et faire ta foi relâcher, car par elle tu dois être tenu comme mauvais, étant dans l'erreur. En lui sont tous bien ensemencés.


LE ROI. - Prud'homme, il a déjà bien commencé, car mon trésor est revenu. Les miracles sont assez évidents. Puisqu'il fait ravoir ce qu'on a perdu. Mais je ne l'aurais pas cru. Sénéchal, à quoi bon mentir ? En lui est mon cœur si entièrement que jamais je ne croirai en nul autre.


LE SÉNÉCHAL. - Certes, roi, je n'osais en parler, mais en mon cœur je vous blâmais fort de ne pas m'avoir encore parlé ainsi, car j'en avais grand désir.


LE ROI. - Prud'homme, va chercher saint Nicolas. Je ferai sa volonté sans contredit.


LE PRUD'HOMME. - Dieu, adoré en sois-tu, oui de ta grâce as revêtu ce roi, qui était contre toi. Sire, dans l'erreur est celui qui ne croit pas en toi et qui refuse de te servir, car ta vertu reluit et apparaît. Roi, rejette ta folie dehors et rends-toi de mains et de cœur à Dieu, afin qu'il ait de toi pitié et au baron saint Nicolas.


DURAND. - Chrétien ! Chrétien ! J'ai grand deuil d'avoir tant tardé.


LE ROI. - Saint Nicolas, je me rends ici en ta garde et en ta merci, sans fausseté et sans tromperie. Sire, je deviens ici votre homme. Je laisse Apollon et Mahomet, tout leur parage et leur lignée et Tervagant, ce sale larron !


Les trois émirs viennent trouver le roi.


L'ÉMIR DE COINE. - Roi, puisque tu es converti, nous qui de toi tenons nos fiefs, nous nous convertissons aussi.


LE ROI. - Seigneurs, mettez-vous à genoux ; comme je fais, faites tous les trois.


L'ÉMIR D'ORKENIE. - J'y consens bien.


L'ÉMIR D'OLIFERNE. - Et moi aussi, je consens que nous soyons tous bons chrétiens, obéissant à saint Nicolas, car très grandes sont ses bontés.


L'ÉMIR DE L'ARBRE-SEC. - Seigneur, jamais ne me contez cela ! Car je n'entends goutte de cette oreille. Malheur à qui me conseille de devenir renégat ! Ah, roi ! tu mériterais d'être noyé comme félon et lâche, toi qui es devenu mécréant ! Tu as forfait ! Qu'on te brûle ou t'écorche ! Ni toi ni ton savoir je ne prise plus qu'un épi ! Garde-toi de moi, je me délie et te rends ton hommage et ton fief.


LE ROI. - Or çà ! barons, par ma tête ! Je veux que, malgré lui, il fasse mon plaisir et ma volonté. Mettez-le à genoux par force.


L'ÉMIR D'ORKENIE. - Allons ! Seigneurs ! Mais il est très fort ; il nous faudra le dompter.


L'ÉMIR DE L'ARBRE-SEC. - Fi ! mauvais, me croyez-vous, prendre tant que Mahon me protège ? Fuyez, mauvais chevaliers, hypocrites ! Je vous méprise vous et vos moyens !


L'ÉMIR D'ORKENIE, le saisissant. - Vous y viendrez, car je vous tiens !


L'ÉMIR DE COINE, le saisissant aussi. - Roi ! ton traître, le voici !


L'ÉMIR DE L'ARBRE-SEC. - Ah ! roi, pour l'amour de Mahomet, merci ! Ne me fais pas renier mon dieu, fais-moi plutôt trancher la tête ou tirer le corps par des chevaux.


LE ROI. - Par ma tête ! Il vous convient de faire comme moi, sachez-le bien.


L'ÉMIR DE L'ARBRE-SEC. - Saint Nicolas, c'est malgré moi que je vous adore et par force. De moi vous n'aurez que l'écorce ! Par parole je deviens votre homme, mais ma croyance est en Mahomet.


TERVAGANT. - Palas aron ozinomas, baoke banotadam donas...


LE PRUD'HOMME. - Roi, que voulait-il dire ainsi ?


LE ROI. - Prud'homme, il meurt de deuil et de colère de ce qu'à Dieu je me suis converti, mais je n'ai plus souci de son jargon. Sénéchal, de la synagogue allez jeter en bas les idoles.


LE SÉNÉCHAL, au temple. - Tervagant, des ris et des pleurs que vous fîtes par votre douleur, vous verrez s'accomplir la prophétie.


Il jette la statue de Tervagant en bas des marches du temple.


LE ROI. - Prud'homme, maintenant nous serons baptisés le plus tôt que nous pourrons. Je veux me vanter de servir le vrai Dieu !


Le prud'homme entonne un Te deum...

 

FIN

 

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